Commercialisation - Par L.Dujol. CC-BY-SA

Sélection hebdomadaire d’informations parues sur le web concernant le monde de l’info-doc et les enjeux du numérique.

Valoriser le domaine public

– A quand des journées nationales du bien commun ? – Bertrand Calenge : carnet de notes

Bertrand Calenge manifeste une inquiétude bien réelle au sujet « des ressources documentaires de plus en plus réduites à la monétisation du droit à leur accès et pour les nouvelles formes numériques du savoir cantonnement juridique de l’intérêt général à des “exceptions”. Et de s’interroger sur « la libéralité d’accès et d’usage que nous autres bibliothécaires pouvons faire des objets que nous manipulons en vue d’en permettre l’appropriation par l’ensemble des publics que nous servons. » Et notamment les oeuvres entrant dans le domanie public.

« Il faut s’émerveiller qu’une œuvre accède enfin au domaine public et devienne ainsi la propriété de tous, un Bien commun en somme (voir l’intéressant article d’Hervé Le Crosnier) ! Et cette accession devrait faire l’objet d’une sorte de “baptême républicain” qui pourrait se concrétiser par des Journées du Bien Commun. Au-delà de la valorisation, ce serait l’occasion de questionner offensivement la place laissée à la libre communauté des citoyens : accessibilité à des espaces publics de partage, exploitation commerciale du bien commun, alerte sur les perpétuelles tentations vers une extension du droit d’auteur, etc.

Proposons à tous les bibliothécaires de se faire les moteurs d’une manifestation nationale à inventer : les Journées nationales du Bien commun ! »

Une journée internationale du domaine public existe déjà, et des bibliothécaires français vont participer à leur façon à cette célébration. Mais célébrer les auteurs du domaine public peut s’avérer être plus compliqué que prévu, du moins au Canada. C’est ce que nous explique Marie D. Martel  sur son blog.

Dans son billet « Célébrer ou pas le domaine public : je veux bien faire la fête mais pour qui ? » celle-ci fait part de sa difficulté à vouloir célébrer les auteurs québécois entrant dans le domaine public :

Alors qu’il est relativement facile de repérer les dates de décès des auteurs anglophones, l’exercice se complexifie drôlement du côté des francophones du Québec. On veut bien célébrer le domaine public, mais qui est-ce qu’on fête ? Qui est un(e) écrivain (e) du Québec décédé(e) en 1961? Où est la liste, où est la base de données ?

Une difficulté que n’est pas anodine.

Si nous obtenons cette information, à BAnQ ou ailleurs, nous serons en mesure dès lors, non seulement de documenter Wikipédia,  mais aussi d’élaborer des initiatives de médiation, des fêtes de la lecture, pour ces oeuvres que nous feront renaître tout en renaissant avec elles.

Une demande confirmée par Oliver Charbonneau sur son blog CultureLibre.ca

Un domaine public qui pourrait être mis à mal si le Ca­na­da adhé­rait aux dis­po­si­tions du Trans-Pacific Partnership (TPP) qui étendraient la durée du droit d’au­teur à 70 ans ou qui im­po­se­raient des règles en­core plus strictes de ver­rouillage nu­mé­rique. Marie D. Martel propose une traduction d’un extrait de l’ appel aux citoyens canadiens en faveur de la préservation du domaine public formulé par Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa, spécialiste des questions de propriété intellectuelle.

D’autant plus compliqué si les dispositions PIPA (Protect IP Act) et SOPA (Stop Piracy Online Act) étaient elles aussi validées par le Congrès américain. Toujours sur le blog Bibliomancienne,

Les organisations et les bibliothèques localisées au-delà des États-Unis ne sont pas à l’abri. Par exemple, explique Eric Hellman, si le Project Gutenberg Australia distribuait The Great Gatsby par F. Scott Fitzgerald, une oeuvre qui est encore sous copyright aux États-Unis, les démarches légales pourraient, dans la perspective de charges criminelles, forcer le fournisseur à bloquer l’accès au site; forcer Google, ou d’autres moteurs de recherche, à ne plus afficher PGA dans ses résultats et même à couper ses revenus publicitaires; forcer Wikipédia à retrancher les liens de cet organisme dans ses pages. Et, puisque les bibliothèques développent de plus en plus de collections à l’aide de ressources issues du domaine public ou de contenus libres d’être partagés, elles seront exposés à ce type de risques extraterritoriaux. Privées de ces opportunités qui ont surgi pour elles au sein de l’économie du web, on craint pour l’avenir des bibliothèques sur le territoire numérique.

De quoi justifier le black-out de mercredi dernier. MAJ : il semblerait que le projet soit ajourné.

De quoi se convaincre que les bibliothèques publiques doivent activement s’impliquer dans la défense du domaine public et sa valorisation. Mais pas seulement …

Valoriser les créations sous licences libres : 

Ziklibrenbib ou la symbiose entre contenus libres et médiation numérique en bibliothèque – S.I.Lex

Lionel Maurel salue l’arrivée de « Ziklibrenbib, un blog collaboratif créé à l’initiative de la Médiathèque de Pacé (35) et de la Médiathèque de la CDC du Pays d’Argentan (61) entièrement consacré aux musiques en libre diffusion. Il insiste sur le  rôle essentiel des bilbiothèques publiques dans la valorisation des créations sous licences libres :

Avec les contenus libres, une véritable relation “symbiotique” pourrait s’instaurer avec les bibliothèques. En effet, les artistes qui placent leurs oeuvres sous licence libre ne bénéficient généralement pas des circuits de distribution du secteur commercial. Ils peuvent dès lors avoir du mal à se faire connaître du public et ont donc particulièrement besoin de recommandation et de médiation pour percer. De leurs côtés, les bibliothécaires ont du mal à valoriser convenablement les contenus commerciaux à cause des barrières qu’on leur impose. Il y aurait donc un bénéfice mutuel à ce que des initiatives comme Ziklibrenbib se développent, pour tous les types d’oeuvres et pas seulement pour la musique, même si c’est sans doute dans ce domaine que la production d ‘oeuvres libres est la plus abondante.

L’initiative Ziklibrenbib va bien au délà :

Ziklibrenbib joue vraiment le jeu de la Culture libre, en plaçant les critiques produites sur le site par des bibliothécaires sous licence libre à son tour (CC-BY-SA).

Et comme je l’indiquais ici même :

 Les bibliothèques sont de plus en plus productrices de contenus et espèrent pouvoir par ces contenus se disséminer au sein des espaces numériques de leurs usagers. Mais comment l’espérer si ces même bibliothèques ne les placent pas sous un statut juridique adapté aux pratiques d’échange, de partage, et de réutilisation,  propres au web social ? Très clairement le portail d’une bibliothèque, son blog ou encore son wiki doivent être sous licence CC. Et croyez moi, on est loin du compte…

Les contenus produits par les Médiathèques du Pays de Romans sont aussi sous licence CC-BY-SA

« Une initiative comme Ziklibrenbib renforce encore à mon sens la nécessité que les licences Creative Commons restent bien compatibles avec les usages collectifs en bibliothèques« , termine Lionel Maurel.  A condition que les bibliothécaires veulent bien se débarrasser « d’ un “DRM mental” puissant qui joue encore dans la profession et qui empêche la synergie d’opérer. « 

Pouvoir et vouloir.

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14 commentaires sur « Valoriser des contenus libres de droit en bibliothèque. Pouvoir et vouloir – La veille apprivoisée #12 »

  1. Très bons points. On numérise, numérise sans fin. L’offre est immense, de quelques millards de pages! Un programme de numérisation sans une politique claire en faveur de l’accès libre nous mènera où? La prétention des institutions responsables à posséder des « droits d’auteurs » sur les documents qu’elles numérisent me laisse perplexe. Au mieux, elles sont propriétaires des fichiers numériques parce qu’elles ont payé pour les produire. Point. Aucun droit d’auteur ici, comme mon droit de propriété sur un livre que j’ai acheté. Mais justement, les bibliothèques acquiert des documents pour les diffuser et non pas pour en devenir propriétaire et en restreindre l’accès.

    La BnF, BAnQ et bien d’autres bibliothèques (la plupart?) limitent légalement l’usage du domaine public numérisé. Ce n’est pas aux directions des institutions publiques à trancher cette question, c’est aux ministères de la culture, aux gouvernement et à la socité de le faire. Les oeuvres dans le domaine public sont celles qu’on peut utiliser sans payer de droits d’auteur (il y a des différences selon les pays), qu’on peut commercialiser. Quel argumentaire tortueux ont développé des institutions publiques pour vouloir restreindre les usages du domaine public? Que créer le fichier numérique d’un imprimé consiste à un acte de création d’une oeuvre nouvelle?! Enfin, moins de numérisation: l’offre actuelle dépasse nos capacités à utiliser intelligemment ce qui est déjà en ligne. Pour célébrer le domaine public, il faut qu’il le reste!

    Dernière question: si une institution acquiert des droits d’auteurs sur les fichiers numériques des oeuvres du domain public qu’elle finance (ce qui est une fabulation de mon point de vue), quand ces fichiers pdf, jpg, mp3 tomberont-ils, eux, dans le domaine public? Dans 50, 70, 100 ans, après la mort de l’institution, du technicien à la numérisation, du créateur du scanner?

    Les possibilités de diffusion de la culture par la numérisation du patrimoine imprimé sont beaucoup trop importantes pour que ce sujet reste dans les cercles d’experts en droits d’auteurs, de gestionnaire d’institutions culturelles, des professionnels des arts et lettres. L’idée d’une journée nationale ou d’autres événements publicis en faveur du domaine public est excellente.

    Ce qui est en danger aussi, me semble-t-il, c’est la neutralité des bibliothèques. Si elles deviennent des agents économiques importants dans la circulation de la culture numérique, elles risquent de s’éloigner de leur mission fondamentale. Leur rôle évolue, oui, mais leur neutralité doit être protégée, c’est un fondement de la liberté d’expression. En ce moment, cette neutralité est menacée. Vaudrait mieux créer une sorte d’agence de commercialisation de la culture numérique, si nécessaire, pour prendre en charge toutes ces questions complexes (droit, édition, publication) dont les bibliothécaires ne sont pas des spécialistes. Numériser coûte cher, oui. Que les responsables trouvent d’autres façons d’obtenir une contribution des entreprises ou des individus qui pourraient « monétiser » le domaine public qu’en inventant des soi-disant droits d’auteur sur le domaine public.

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