Quelle expérience usager/bilbiothécaire ? Testeur, lecteur, passeur ? - Par glencoepubliclibrary. CC-BY-SA Source : Flickr

J’ai le sentiment que les bibliothécaires français hésitent à s’emparer de la question de la lecture numérique. Face à une minorité active, la majorité de nos collègues semblent être dans l’attentisme. Certes, les usagers ne sont pas encore au rendez-vous. Même si la progression du livre numérique s’accélère en France, le marché reste timide – Le Kindle boostera t-il le marché ? –  et les offres de livres numériques en bibliothèque laissent encore à désirer. Si le bibliothécaire français, à l’image de la majorité de ses usagers, n’est pas encore un lecteur de livres numériques, il n’en demeure pas moins un professionnel qui doit savoir anticiper et accompagner ces nouvelles pratiques de lecture sans attendre que la demande se fasse pressante. Car la lecture numérique fascine et suscite bien des interrogations dont les médias se font l’écho, relayant parfois un scepticisme à la limite du ridicule. La bibliothèque doit donc être un lieu d’expérimentation de la lecture numérique afin que chacun puisse se faire sa propre idée. Quelques réflexions.

La consultation sur place de tablettes  : apprendre à regarder les usages

Des bibliothèques ont fait le choix de proposer des tablettes en consultation sur place notamment pour lire des revues et des journaux numériques. Un service assez proche de la consultation traditionnelle de périodiques dans les murs de la bibliothèque. Sauf que l’usage attendu, n’est pas nécessairement celui constaté. Les usagers utilisent bien les tablettes mises à disposition mais lisent assez peu les revues embarquées préférant découvrir toutes les possibilités de l’appareil. Les retours d’expériences parlent d’échec. Si il y a échec, c’est celui des bibliothécaires qui ont projeté sur la tablette une pratique de lecture qui serait similaire à celle qu’ils constatent lorsqu’un usager s’installe confortablement pour lire un journal papier. La lecture n’est qu’un possible dans la multitude d’usages offerts par une tablette. A défaut de comprendre, apprenons à regarder ce que les usagers nous montrent en manipulant dans nos murs les appareils que nous mettons à leur disposition.

Le prêt de liseuses, un service voué à disparaître.

Les projets de prêt de liseuses se multiplient. Le bibliothécaire y retrouve ses réflexes. La liseuse est mise à disposition dans les conditions d’un prêt traditionnel. Le succès est indéniable et les listes d’attente s’allongent. Certaines bibliothèques envisagent l’achat de nouvelles liseuses. Il y a là, sans aucun doute, la réponse à une double attente : celle des curieux qui veulent expérimenter la lecture numérique et celle de ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’en approcher.

Néanmoins c’est un service difficile à pérenniser. La technologie et les formats de fichiers de lecture n’étant pas stabilisés, ils posent la question du renouvellement régulier des appareils.  S’ajoute des contraintes de prêt très fortes et peu adaptées au fonctionnement des bibliothèques. Une manutention lourde, la fragilité des appareils et une assistance en cas de problèmes techniques. Au final beaucoup de contraintes et parfois de la frustration aussi bien pour le bibliothécaire que pour l’usager. Je ne suis pas certain qu’une liseuse ait vocation a être prêtée tant elle est un objet personnel, proche de soi dans tous les sens de l’expression. Concentrons-nous sur une offre de contenus appropriables. Je vous encourage à lire le retour d’expérience lucide de la bibliothèque municipale de Sainte Julie au Québec, publié par la revue Argus.

Allons-nous poursuivre cette expérience? Certainement jusqu’à la fin de la vie active des deux liseuses. Les usagers voient le prêt de ces documents comme une initiation, une découverte de ce que peut être ce genre de médium, sans plus. Tout comme le personnel, ils sont satisfaits d’avoir la possibilité d’explorer les nouveaux médias. À la réflexion, je crois que la bibliothèque de Sainte-Julie devrait se concentrer sur le développement du prêt de livres numériques …

L’usager réduit au rôle de testeur ?

Le prêt de liseuses s’accompagne souvent d’un questionnaire afin de recueillir les impressions des usagers sur la manipulation de l’appareil et sur l’ergonomie de l’interface. Je ne remets pas en question la pertinence de ses enquêtes qui nous permettent de mieux cerner les pratiques, mais je regrette que l’on réduise l’expérience de lecture numérique à une simple appréhension des fonctionnalités techniques de la liseuse, même si elles sont importantes. En donnant à l’usager la posture d’un testeur, je ne suis pas certain que nous séduisions des lecteurs potentiellement intéressés mais impressionnés par des a priori techniques. Le prêt de liseuse au sein d’un club de lecteurs me paraît être plus intéressant. L’usager testeur partage ses impressions et profite de l’entraide des membres de la communauté. L’investissement des bibliothécaires est plus important qu’un simple prêt de liseuses, mais il y a ici une valeur ajoutée humaine qui ne peut que rassurer et encourager l’usager dans son cheminement vers la lecture numérique. Mais il faut aller plus loin car l’expérimentation de la lecture numérique ne peut se résumer en un test partagé de liseuses. .

Du club de testeurs au club de lecteurs de livres numériques.

Utilisons nos clubs de lecteurs pour ce qu’ils sont et proposons un partage de ses lectures numériques. A Romans sur Isère, nous sommes en train de mettre en place un « Troc de lecture numérique ». En échange du prêt d’une liseuse, nous demanderons à l’usager de produire la critique du livrel qu’il aura lu. Elle sera partagée, discutée au sein de la communauté réunie chaque mois. Elle sera aussi valorisée et disséminée sur nos supports de médiation qu’ils soient tangibles ou numériques. L’usager devenant ainsi le meilleur défenseur de nos ressources numériques. Ce genre d’expérience à l’avantage de recentrer la liseuse sur le plaisir de lire et le texte. La communauté peut aussi s’ouvrir à ceux qui possèdent une liseuse ou une tablette et faire ainsi de la bibliothèque un lieu d’expérimentation de lecture numérique et sociale,  intra-muros et en ligne – c’est un vœu pieu ;-).  L’implication des bibliothécaires est essentielle. Ils sont animateurs de communauté, force de proposition et producteur de recommandations. Le bibliothécaire devient alors lui aussi un lecteur de livres numériques.

Faire du bibliothécaire un « lecteur du numérique ».

Ce genre de projet est mobilisateur. Il ne s’agit pas seulement de mettre à disposition un lot de liseuses pour découvrir et recueillir les impressions des bibliothécaires, mais d’en faire un outil de médiation à part entière pour connaitre et valoriser l’offre de ressources numériques proposée par la bibliothèque. Nous nous approprions ce qui fait sens. La liseuse n’est pas une fin en soi. Je crois beaucoup à cette démarche intégrée à un projet de médiation qu’au simple prêt de liseuses ou d’une offre « brute » de livres numériques qui ne feront pas de mon point de vue du bibliothécaire un lecteur – passeur ? – averti du numérique … pas plus que l’usager d’ailleurs.

37 commentaires sur « Quelle expérimentation de la lecture numérique en bibliothèque ? »

  1. Proposons des contenus..
    lorsque les lecteurs de cd sont arrivés, on n’a pas foncé sur des achats de matériels pour les faire tester par les usagers. Les gens se sont peu à peu équipés et se sont tournés vers nous. préparons nous donc cette future demande qui pourrait bien arriver dans un an ou deux..
    Bon, oK, c’est différent, car on est bloqué sur la question du prêt.

    Y a-t-il un sens à proposer des contenus pour les gens qui viendront avec leurs liseuses à la Bib pour lire » dessus » sur place des documents qu’on leur mettra à dispo dans l’enceinte de la bib ? quels documents ? journaux ? romans ? Je ne sais pas trop…
    en tous cas faut tenter des trucs !

    DLG

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  2. Je suis totalement d’accord avec toi. Nous n’avons pas prêté de magnétoscopes, lecteurs CD ou encore Ipod quand ses nouveaux supports sont arrivés. Et effectivement nous devons concentrer notre attention, nos exigences – je pense ici au DRM – sur les contenus. Le sur place je n’y crois, contenu accessible à distance oui.

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  3. le prêt de liseuses n’est-il pas quand même très intéressant pour tous les ouvrages du domaine public ? Ca ferait un peu de place dans nos rayonnages pour les ouvrages contemporains ? A promouvoir bien entendu…

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  4. Mettre des limites à une expérimentation fait partie de son protocole par définition. Dont acte. Je dirais seulement que pour « entrer « dans le livre numérique il faut une porte. De ce que j’ai observé la liseuse a joué ce rôle cf http://kotkot.blogspirit.com/apps/m/archive/2011/09/26/livre-numerique-en-bibliotheque-7-realisations.html . Et par cette porte ont été jointes plus de 900 lecteurs en un an. On verra si les tablettes tactiles completeront ce travail. Dans tous les cas la médiation est centrale : je dirais même plus, elle induit une nouvelle posture du bibliothécaire non plus au-dessus des lecteurs mais avec.

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