Je suis d’assez près les écrits du philosophe Jacques Rancière et notamment tous ses travaux sur sa philosophie de l’émancipation intellectuelle qui s’appuie sur l’affirmation de l’égalité des intelligences.

Il a donné dernièrement une interview aux inrockuptibles à l’occasion de la sortie de son dernier livre « Le spectateur émancipé« . A lire absolument.

Réagissant aux propos tenus dans un article par Pierre Rosenberg, ancien directeur du Louvre, sur la différence entre les visiteurs touristes et les vrais spectateurs des œuvres exposées.

On voit bien comment ça reconstitue une opposition entre un troupeau supposément imbécile et un « vrai spectateur ». Dans le même article, il demandait qu’il y ait des cours d’histoire de l’art à l’école, enseignés par de « vrais historiens de l’art ». Et à ce moment là, on produira «  »les vrais spectateurs « …

Plus que le souci d’une fabrique de bons spectateurs, instruits, légitimes, il faut pouvoir donner sa chance à un spectateur qui puisse trouver autre chose que ce qu’il est venu chercher. Sans prédétermination de ce qu’il verra et de ce qu’il doit penser. Un spectateur doit pouvoir voir n’importe quoi, en sortant des schémas pédagogiques extrêmement lourds du monde de l’art aujourd’hui, qui dicte aux gens ce qu’ils voient. Il faut que le spectateur ait la plus grande latitude possible de négocier seul ce qu’il voit.

En lisant ces lignes je ne peux que penser au monde des bibliothèques et à son regard sur l’usager encore trop souvent prescripteur. Proposant une offre documentaire et de services pour un usager tel qu’il devrait être et non pour ce qu’il est. Rancière insiste sur le fait qu’aucune institution, dont la bibliothèque, n’est elle même émancipatrice. Selon lui nous devons partir de l’exigence égalitaire.

C’est à dire de multiplier pour des individus la possibilité de révéler leurs propres capacités. L’essentiel est d’aider les gens à basculer d’un état d’incapacité reconnue à un état d’égalité où on se considère capable de tout parce qu’on considère aussi les autres comme capables de tout.

La bibliothèque comme lieu des possibles … un lieu de tous les cheminements … un lieu où l’on mise sur l’intelligence, les intelligences de l’usager.


9 commentaires sur « La bilbiothèque comme lieu des possibles … »

  1. bonjour,
    Les chemins sont parfois longs et semés d’embûches ;). En lisant ces lignes, je pensais à l’exposition Koons à Versailles. Elle a suscité beaucoup de réactions (manif à l’entrée) mais on a enregistré un pic de fréquentation…
    L’histoire, l’architecture, l’art classique et le Pop art au même endroit…offrir de la diversité dans un monde de diversité d’usagers. oui il est clair que nos bibliothèques peuvent s’appuyer sur les intelligences des lecteurs et leur faciliter le(s) chemin(s).

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  2. Bonjour

    je viens d’avoir un échange sur un autre blog à propos de ce fantasme du bibliothécaire élitiste, prescripteur, limite dictateur avec les usagers pris pour des idiots !
    Je ne vois toujours pas où l’on trouve ce modèle ! Il y en a vraiment tant que ça ? Dans le coin où je travaille (Hauts de Seine, près de Paris) il ne me semble pas que ce soit si répandu…
    Il faut chercher ailleurs pour trouver des gens qui prennent le public pour un idiot, surtout les électeurs : ainsi M. Sarkozy, déclarant :
    « Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse, mais en même temps ils ont guillotiné le roi. »
    Voir :
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/12/12/social-jeunesse-banlieues-la-france-gagnee-par-l-inquietude_1130366_823448.html#ens_id=1130482&

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  3. @PV : ça n’est pas aussi franc ….

    proposez à vos collègues d’installer une machine à café dans l’espace de la Médiathèque et non dans une salle à part ou à l’entrée de celle ci. Parlez leurs de la possibilité donnée aux usagers de venir manger à cotés des périodiques. Parlez leur de la possibilité de faire du prêt illimité temps et documents, de ne plus faire payer d’amendes. Suggérez leurs d’accepter que les usagers puissent mettre des tags dans les notices du catalogue ou encore que le cataloguage ne sera bientôt plus le coeur de leur métier. Plus fort et comme comme l’a suggéré Silvère demander à l’usager de voter pour les livres qu’il voudrait voir achetés dans sa bibliothèque.

    Allez donc proposer tout cela à vos collègues et nous en rediscutons ensuite 😉

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  4. Bonsoir,

    c’est très bien d’encourager le public à plus de participation, mais j’ai deux questions :
    comment proposer de « mettre des tags dans les notices du catalogue » quand beaucoup de personnes ne savent pas et ne veulent pas se servir du catalogue ? c’est juste un exemple, mais la bib2.0 n’est pas encore accessible pour tout le monde…
    si le public participe de plus en plus aux choix des documents et à toute autre chose, ne va-t’on pas voir arriver des réflexions sur notre utilité ? qui n’a jamais entendu ce genre de choses : « y a pas besoin d’études pour ranger des livres sur une étagère ! »
    je ne suis pas contre l’évolution (au contraire), mais comment rendre accessible toutes ces belles idées sans perdre notre crédibilité ??

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  5. @ Lionel : je l’ai fait pour certains points… et je suis le premier agacé du manque de réactivité et d’initiative dans ce domaine.
    Mais tout ce que vous dites n’est pas du même ordre… entre un blog participatif, des tags dans le catalogue, une machine à café et le prêt illimité… il y a des nuances (pour ne pas dire différences), non ?

    Ce que je déplore pour ma part ce n’est pas tant l’élitisme des bibliothécaire (je suis persuadé que cela n’existe quasiment plus) que :
    – le manque d’intérêt et de curiosité en général, pour les nouvelles technologies et méthodes en particulier,
    – le manque de considération pour les missions de service public et le fait qu’elles peuvent évoluer,
    – la gentille fainéantise qui consiste à se dire que puisque emploi assuré + pas de pression particulière + préférence a priori pour la répétition du même = petite vitesse et grande lenteur, ringardise et inertie !

    Il y a une vraie fracture numérique dans les bibliothèques au sein du personnel : et elle est grave car elle touche une profession qui devrait au « top » à ce point de vue.
    Mais elle n’est que l’énième avatar d’une fracture plus fondamentale entre les boulets et ceux qui essayent de progresser et prennent sur leur temps pour innover parce qu’ils y croient (comme vous par exemple, sans flagornerie, même si c’est bien agréable !).

    Le problème est donc peut-être :
    – le manque de dynamisme des individus eux-mêmes (qui peut aussi être une grande peur face à ces évolutions),
    – le manque de moyens (pas seulement financiers) dans les collectivités (ex : dans ma bibliothèque, je ne peux pas avoir de vidéo, ni Netvibes, ni les sites avec du java… pour raisons de sécurité !),
    – le manque de volonté des décideurs (élus, directeurs généraux, financiers) qui n’incitent pas forcément à progresser.

    Enfin, élitisme = prendre les meilleurs… ce qu’il faut faire pour constituer ses équipes !
    Pour les usagers, il pratiquer l’éliphore = porter les gens vers le meilleur…

    C’est peut-être un peu dur ?? Je ne sais pas trop, dites-moi…

    Bon samedi

    PV

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  6. PV entièrement d’accord avec toi, je vis la même situation dans la bib où je travaille :
    Netvibes, flux RSS (what is that ?) les logiciels libres bonjour la méfiance (toujours l’éternelle peur des virus) d’ailleurs un certain nombre ne sait même pas que cela existe… .
    Toutefois, espoir car cela commence à bouger.
    Il y a ceci dit un problème concernant la collectivité car certains élus ne sont pas au fait de ce type de préoccupations donc ils ne vont pas forcément valider notre désir de faire des formations, et pour ces dernières elles se comptent sur les doigts de la main.
    Les CNFPT ont souvent un catalogue de formations très très mince, certes d’autres organismes proposent des formations qui pourraient nous interesser mais soit c’est trop cher soit c’est trop loin donc refus de la mairie.
    Il y a un réel fossé au sein d’une même collectivité entre ceux qui sont complètement dans le passé, ceux qui sont devant, et ceux qui sont dans le présent en essayant tant bien que mal de faire bouger les choses et ce n’est pas une mince affaire.
    Le meilleur moyen de faire vivre un endroit c’est de s’observer soi-même : rien de plus révélateur :
    – on ramène très souvent les documents en retard
    – on emprunte largement plus que la limite imposée aux usagers
    – on ne paie pas l’inscription
    – on ne paie pas les connexions internet pour ses besoins personnels
    – on parle fort entre collègues etc…
    Bref tout ce qu’on demande aux usagers on ne le fait pas .
    Concernant les travaux de Rancière ceci n’est pas nouveau concernant le mépris entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas : voyez l’exemple à une époque des polars, de la SF en bibliothèque; Et malheureusement je pense que cela perdurera car tous les travaux sociologiques confirment qu’on reste socialement entre soi et qu’on pense socialement de-même

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  7. @ fee féline > je partage votre opinion sur la participation. elle est aujourd’hui ultra minoritaire et disons le clairement l’usager 2.0 n’est pas encore au rendez vous. Ces fonctionnalités 2.0 telle que les tags sur les notices doivent être pensé comme une possibilité parmi d’autres permettant à l’usager de s’approprier nos services en ligne. Pour certain mettre un tag est simple, pour d’autres c’est laisser un avis, ou encore mettre une note d’appréciation sur une notice, pour d’autres encore l’accès à ces méta données générées par les usagers répondent amplement à leur demande. Encore une fois proposer des possibles, le plus large possible.

    Sur notre utilité. Je n’ai aucun souci là dessus. IL n’a jamais été aussi simple d’avoir accès à de l’information, à des livres, à de la musique … mais il n’ a jamais été aussi difficile de s’y retrouver, de choisir. Notre travail est ici : conseiller, recommander, proposer des chemins … faire de la médiation sur les contenus ! L’usager comprendra qu’ effectivement pas besoin de faire de longues études pour ranger des livres sur des rayons , mais valider, proposer, accompagner sur les contenus, ça ne s’improvise pas.

    @ PV & Joelle : Je partage totalement votre diagnostique. Des bibliothécaires encore bien frileux, qui n’osent pas l’expérimentation. Des élus totalement en décalage face aux enjeux « modernes » de la lecture publique. Sur ce point nous avons une lourde responsabilité tant nous ne savons pas communiquer, lâchons le mot « vendre » la place indispensable des bibliothèques publiques face à ces enjeux. Du coup la mise en place d’un blog, la demande d’une formation 2.0 paraît bien souvent gadget aux yeux de la collectivité de tutelle.

    Concernant l’élitisme des bibliothécaires. Là encore nous sommes d’accord. Ce n’est pas ce que je pointe dans mon billet mais plutôt cette difficulté à accepter que des usagers peuvent avoir des besoins qui sortent des schémas traditionnels des bibliothèques. Une attitude qui considère ce qui est légitime et non légitime dans une bibliothèque. Pour être un peu caricatural, tout ce que demande l’usager – hors suggestion d’achats – est nécessairement à côté de la plaque puisqu’il n’est pas un professionnel des bibliothèques. Pour preuve et comme le pointe très bien Joelle, nous nous permettons tous ce que nous limitons à nos usagers.

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  8. Oui c’est intéressant ce qu’il dit ce philosophe…
    Il dit aussi dans l’entretien que tu cites dans les Inrockuptibles : « J’essaie d’éviter la position de celui qui conseille ». Et c’est bien là, le fond de notre problème en bibliothèque.
    Effectivement, nous sommes encore trop des prescripteurs omniscients, nous cachant derrière une politique documentaire… Comment se transformer en médiateur… transparent ?
    Evidemment, une collection de bibliothèques est le reflet des esprits qui ont travaillé à sa constitution, même si les esprits peuvent être très ouverts…
    Rancière pose cette question de l’élitisme, de la culture légitime et celle que l’on sous-estime sous le terme de populaire…
    Comment faire cette médiation si nous pensons que les documents que nous proposons sont intéressants ? Avec quelle méthode ?
    Il est certain qu’aujourd’hui, le simple dépôt de documents sur des étagères ou dans des bacs ne suffit plus… Il faut présenter…
    Mais alors, comment faire pour éviter ce que Rancière dit : éviter le rôle de conseilleur..
    Vaste débat !
    Amitiés
    Bonnes fêtes à toi, Lionel
    Silence
    alias Franck Q

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